Vous l'avez forcément lu ou entendu des quartiers du nord de Paris autour
des secteurs La Chapelle et Pajol seraient interdits aux femmes qui y subissent
harcèlements et insultes
L'article est ici.
Pompiers pyromanes
Je suis prête à m'insurger contre tout ce qui entrave la liberté de circuler
des femmes, à fortiori dans mon pays. Lorsqu'avait éclaté l'affaire des
agressions sexuelles à Cologne je m'étais élevée sur ma page Facebook contre
les propos de certaines associations féministes qui relativisaient l'évènement
au motif que dénoncer de tels actes commis par des étrangers relevait du
racisme. Il fallait savoir ce qui s'était vraiment passé. Il me semble
d'ailleurs qu'on ne le sait toujours pas très bien.
Mais pour ce qui est de Paris, il se trouve que c'est un quartier dans
lequel j'ai passé suffisamment de temps, surtout le soir, souvent jusqu'à
l'heure du dernier métro, pour avoir mon propre avis et si je ne prétends pas
avoir autant de légitimité que les riveraines il me semble que la problématique
mérite autre chose que des articles qui se recopient les uns les
autres.
Je ne m 'y suis jamais sentie plus en insécurité qu'ailleurs dans Paris,
je fais attention à mon sac et mon téléphone comme d'habitude, je n'y ai jamais
subi de propos mysogines ou sexistes et je n'ai jamais eu d'appréhension à
entrer dans un restaurant ou un café. Il faut dire que je ne n'ai ni 20 ans ni
80 ans et ne suis donc pas une cible particulière, mais je suis bien une
femme.
C'est un quartier extrêmement cosmopolite, mais cela ne date pas d'hier. Les
épiceries sont presque toutes arabes ou africaines. C'est un quartier où à
l'évidence les trafics sont nombreux et où on vous propose tous les 50 mètres
des objets ou produits d'origine douteuse. Mais cela ne date pas d'hier non
plus, et personne ne semble s'en être préoccupé jusqu'à présent. C'est un
quartier phagocyté et pollué par une circulation difficile, qui mériterait
certainement d'être repensée.
Ce qui est plus récent, mais ne date pas d'hier non plus, c'est que depuis 2
ans environ, ce quartier est le lieu ou se regroupent les exilés en provenance
notamment d'Afrique subsaharienne , Soudan, Érythrée, d'Afghanistan et
d'Irak.
Il est rageant de constater que depuis des mois de nombreuses associations
et collectifs de riverains dénoncent une situation indécente sans grands échos
et qu'il faille utiliser l'argument de victimisation des femmes pour que la
toile, les médias et les politiques s'enflamment. Madame Hidalgo déclare sans honte que "la ville et
la préfecture ont identifié cette problématique depuis plusieurs
semaines", qu'elle a entendu ce cri d'alarme et espère des premiers
résultats dès les prochains jours. On devrait s'en réjouir, si on y croyait.
Car elle sait parfaitement ce qui se passe dans ce quartier non pas depuis
plusieurs semaines mais depuis plusieurs mois et que ce ne sont pas quelques
mesurettes, ni rondes de polices, déja très nombreuses sur le secteur qui
résoudront des problématiques bien plus profondes.
Tout le monde a une solution simple à proposer, pour Malek Boutih par exemple il suffit de "dégager tous les
gens qui emmerdent les femmes.. d'une manière ou d'une autre".
Bref, en période de campagne électorale il suffisait aux pompiers pyromanes
de lancer une petite allumette pour obtenir un bel incendie.
La Secrétaire d'Etat à l'égalité est évidemment interpellée, j'ai lu sur
twitter qu'elle recevrait une association qui lutte contre le harcèlement et je
trouve insensé (c'est à dire que cela n'a pas de sens) que ce soit elle qui
récupère une problématique qui relève en réalité des ministères de
l'intérieur, de l'Europe et des affaires étrangères ainsi que de la Mairie de
Paris.
Des hordes d'agresseurs ?
Il importe, pour commencer, de distinguer les différents types d'hommes
présents en ces lieux. Il y parmi eux un certains nombres de malfrats, dealers,
proxénètes, passeurs qu'il convient de traiter selon la loi. Mais la grandes
majorités sont en réalité des exilés qui se regroupent dans ce quartier, n'ont
rien d'autre à y faire qu'attendre et ne sont pas une horde de violeurs
potentiels comme on essaye de nous le faire croire.
Personnellement j'ai commencé à m'intéresser à ce qui se passait dans ce
quartier un soir, glacial, de mars 2016, quand descendant à la station
Stalingrad j'ai vu une centaine d'hommes, allongés sur des cartons. Certains
n'avaient même pas de sac de couchage alors qu'il gelait. J'ai du me pincer
pour être certaine que j'étais bien à Paris et au 21eme siècle.

Par la suite j'ai suivi, de près ou de loin les multiples cycles : créations
d'un camp, toujours dans ce même secteur, évacuation par les forces de polices
quand le camp dépassait les 1000 personnes, période de flottement pendant
lesquels les gens se dispersaient dans différents endroits, puis re-création
d'un camp etc... la dernière évacuation, d'un camp à Porte de La Chapelle, date
de la semaine dernière car la structure d'accueil de la mairie de paris est
notoirement insuffisante.
Alors oui il y a en permanence des groupes, importants, d'hommes qui
traînent dans ce quartier et c'est effectivement assez dérangeant de passer au
milieu pour une femme. Alors oui il y a de la violence et de nombreuses
bagarres entre les communautés. Ces gens font la queue pour manger ce que des
associations ou des bénévoles leur apportent, pour avoir des vêtements ou un
savon. Mais, non, la très grande majorité d'entre eux n'ont rien d'agressif et
sont même, pour peu qu'on veuille bien les regarder comme des êtres humains,
plutôt enclin à la conversation car ils sont complètement dépendants des
personnes de bonnes volontés qui les aident comme elles peuvent et leur en sont
plutôt reconnaissants.
Il y a même de vrais endroits de convivialité, à la rotonde de Stalingrad
par exemple ou des bénévoles dispensent chaque jour des cours de français à de
nombreux élèves assidus.

A lire : Chaque soir je suis prof de français bénévole pour les
réfugiés
Pourquoi ce quartier ?
Ce quartier présente plusieurs caractéristiques. tout d'abord il est près de
la gare de l'Est ou arrivaient ceux qui avaient emprunté la route des balkans
et près de la gare du Nord d'où partaient ceux qui voulaient aller en
Angleterre.
Une autre raison est que se trouve à proximité, à Jaurès, la plate forme par
laquelle doivent passer tous ceux qui veulent demander l'asile en France à
partir de l'ile de France. Or, celle-ci, dont la gestion a été confiée à une
association France Terre d'Asile, a pour tache d'accorder des RDV avec la
Préfecture, mais elle le fait avec parcimonie sur instruction même de la
préfecture qui peut ainsi produire des statistiques respectant le délai de 10
jours fixé par la loi . Résultat il y a en permanence sur le trottoir des
personnes qui attendent plusieurs jours, dorment, se lavent sur place et passer
devant eux est une expérience que je conseille à tous les parisiens. On peut
avoir peur, on se demande surtout comment une grande puissance mondiale peut en
arriver là.
Enfin, ce quartier a, de par sa composition cosmopolite, un seuil de
tolérance certainement très élevé. Je serais curieuse de savoir ce qui se
passerait si la Mairie osait placer ce genre d'équipements (ci-dessous), en
nombre toujours insuffisants qui plus est, dans le 16eme ou le 7eme
arrondissements.

Et si aujourd'hui on écoute celles qui se rebiffent les journalistes
pourraient aussi s'intéresser à toutes celles et ceux qui, nombreux, se
sont organisés pour distribuer des repas, des savonnettes, des couvertures ou
des bouteilles d'eau mais ne font pas le buzz.
Ou sont les femmes ?
Le constat d'aujourd'hui, de tous ces hommes dans la rue pose une
question. N'y aurait il que des hommes à quitter des pays en guerre, des
dictatures sanguinaires ? Non bien sûr.
Alors où sont les femmes ?
Certes elles sont un peu plus facilement mises à l'abri et il y a en
France quelques structures qui s'occupent d'elles en priorité. A Calais un
espace leur était réservé, interdit d'accès aux hommes. Certes, lorsqu'elles
ont un abri elles y restent car il vaut mieux pour elles ne pas trainer dans la
rue.
Mais la dure réalité est que beaucoup d'entre elles ont déja été victimes,
avant même d'arriver en France, ou après (!) des réseaux de prostitution.
Les solutions proposées
Demain on va nous annoncer une multiplication des controles de police, alors
qu'ils sont déja extrêmement nombreux et visent seulement à empêcher les
migrants de rester sur place, ou à harceler les bénévoles qui distribuent de la
nourriture.
A plusieurs reprises l'aménagement des trottoirs a été évoqué, ce qui a fait
se gausser twitter "comme si les trottoirs étaient responsables". Eh
bien oui il y a un problème avec les trottoirs. Car chaque fois qu'un camp a
été évacué des grilles ont été disposées pour empêcher un nouveau camp de se
reconstituer. Ce qui fait que tous les espaces de ce quartier qui servaient
pour les marchés, pour les jeux d'enfants et procuraient un peu de convivialité
ont été rendus inutilisables. C'est notamment le cas de tout l'espace situé
sous le métro aérien. Ils ne reste plus que les trottoirs pour circuler ceux-ci
étant étroits et coincés à coté d'une circulation dense.


Réduire le nombre de migrants dans ce secteur ? Mais c'est comme vider la
mer avec une cuillère. Le camp de la porte de la chapelle qui devait résoudre
ce problème s'est rapidement révélé sous-dimensionné. Procéder à des
évacuations plus régulières ? Probablement, encore faudrait il savoir ce que
deviennent réellement les personnes ainsi transférées en Province et de toute
façon on constate que de nombreux exilés reviennent à Calais ou à Paris, car
ils ont un objectif de regroupement ou se retrouvent trop isolés dans des
campagnes où ils peinent à imaginer un avenir .
J'attends de ce gouvernement qu'il prenne enfin la mesure de ce grave
problème, qu'il sorte de la réthorique de l'appel d'air qui voudrait que si on
accueille trop bien les gens ce sera une incitation à venir pour d'autres. Le
seul résultat tangible de cette théorie, vigoureusement défendue par Bernard
Cazeneuve, est pour l'instant d'avoir fourni un discours porteur au Front
national.
J'attends de ce gouvernement qu'il ramène cette question au coeur de la
politique Européenne, et qu'il modifie le positionnement de la France vis à vis
de la Grande Bretagne . J'attends de ce gouvernement de ne plus avoir honte
lorsque je marche dans les rue du quartier Pajol/ La chapelle.
(Toutes les photos, prise en 2016 ou 2017, sont les miennes et ne sont
pas libre de droits)