Petite histoire des grands singes

Philosophe des sciences Chris Herzfeld est spécialiste de l'histoire de la primatologie et des relations entre humains et grands singes.

Ce livre est passionnant par ce qu'ils nous apprend sur les grands singes et notre proximité avec eux. Mais l'auteure ne se contente pas de nous les décrire, elle s'emploie avant tout à montrer que le discours scientifique parle autant d'eux que de nous. Elle nous dit comment la façon dont ils ont été constitués en objets de savoir et d'expérimentation nous éclaire sur la vision qu'ont du monde les scientifiques et la façon dont elle évolue à travers les siècles, comment aussi ils sont prétextes à des discours sur la race ou sur les sexes.

C'est bien évidemment ce dernier point que je vais détailler.Pour le reste je ne peux que vous en conseiller la lecture.

LA FEMME, UNE PROIE 

La place assignée aux grands singes constitue un enjeu de taille. Avant Darwin la question ne pose guère, ils sont du coté de l'animal voire de Satan, après Darwin le débat fait rage et les diaboliser, insister sur leurs caractéristiques bestiales permet de préserver une séparation entre l'humain de "nature divine" et l'animal. Et parmi les caractéristiques de la bestialité la lubricité est facilement observable puisque les primates exhibent sans pudeur  leurs organes génitaux, leurs masturbations et copulations. 

Une image devient très populaire, celle du grand singe enlevant une femme. Ce stéréotype donne lieu à des oeuvres : statue de Frémiet par exemple en 1887, ou films avec évidemment les King Kong. Entre temps le gorille est devenue moins brutal, montrant même une certaine sensibilité, mais dans les 2 cas la femme apparait comme une victime et un objet sexuel.*

Entre nature et culture l'homme apparait du coup comme clairement du coté de la civilisation (voir à ce sujet ce qu'en dit Franz de Wall) 

ENTRE NATURE ET CULTURE, LES SINGES NOUS DONNERAIENT LA REPONSE

Les singes sont censés "faire parler la nature" et on nous dit donc que leur observation doit montrer de façon indiscutable ce qui relève de l'innée. 

Certains postulent que leur organisation sociale reflète l'organisation des premiers hominidés. Les 1er chercheurs reprennent les hypothèses d'alors des paléoanthropologues : des tribus de chasseurs dominées par des mâles agressifs. Les 1eres observations, effectuées sur des babouins dans les années 30, confirme ces hypothèses. Personne ne se soucie alors de remarquer que les conditions ne sont pas si naturelles que ça puisque les singes sont attirés avec des cacahuètes.

Il faudra attendre des années, avec notamment des recherches japonaises, pour constater que les modèles sociaux peuvent être très différents d'une espèce à l'autre.

Chrys Herzfeld remarque aussi comment la façon dont sont rapportées les observations sont biaisées par notre propre culture. Elle donne l'exemple des outils. Les singes en utilisent beaucoup, mais lorsque les scientifiques parlent d'outils c'est toujours d'outils en pierre . C'est que chez l'Homme l'outil de pierre a longtemps était considéré comme le 1er outil de base. Essentiellement parcequ'ils perdurent des siècles et ont donc pu être retrouvés et analysés. En réalité  les outils en fibre sont beaucoup, beaucoup plus nombreux mais ils ne laissent pas de traces. Et ce n'est probablement pas le hasard si  les outils en pierre sont considérés comme masculins et les fibres sont du coté du féminin, alors que les femelles singes sont généralement plus habiles que les mâles dans toutes les techniques.( Une explication serait que les femelles, s'occupant des bébés sont amenées à utiliser 2 fois plus ces techniques (double carrières pour elles aussi !))

De façon générale, c'est avec leurs préjugés, et sans en avoir conscience, que les chercheurs décryptent les comportements qu'ils observent. Ils constatent ainsi que les mâles sont masculins et les femelles féminines. 

Ainsi, les ces singes qui vivent avec les humains sont ils d'emblée regardés avec nos critères sociaux : c'est par exemple Miss Congo une gorille qui dès son arrivée est décrite comme éminemment féminine : elle est modeste, tendre et timide. Lorsqu'on leur propose des activités le ménage est pour les femelles, le gardiennage pour les mâles. Alors que , bien évidemment les primates, peuvent pratiquer de multiples activités et les mâles ne voient aucun problème à faire usage d'une pelle et d'une balayette.

Par ailleurs, de très nombreuses expériences, dont certaines sont très cruelles, car c'est l'une des constantes de ces recherches c'est qu'elles n'ont guère montrés de respect pour les animaux, ont donné lieu à des conclusions définitives, sans même tenir compte du contexte particulier dans lequel elles étaient menées. Contexte fort éloigné de la Nature..

Ce fut le cas par exemple des très célèbres expériences de Harry Harlow dans les années 50 qui séparaient des bébés de leur mère et montraient que ceux-ci préféraeint s'accrocher à un grillage en recouvert de peluche qu'à un autre disposant d'un biberon. Cette expérience prouvaient l'importance des premiers liens, les pauvres primates ainsi traités sont devenus des adultes asociaux et déprimés. Elle a également permis d'asseoir un discours culpabilisant pour les mères à une époque où les femmes commençaient à vouloir se libérer des contraintes de la maternité.

LA PLACE DES FEMMES DANS LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

La primatologie apparait comme un champ disciplinaire dans lequel les femmes seraient particulièrement bien représentées. 

Ce sont effectivement des femmes qui sont parties sur le terrain observer les animaux, certaines ont acquis une renommée mondiale :  Jan Goodal, Diane Fossey. 
Les raisons invoqués par les commanditaires sont multiples.  Après que quelques hommes aient tentés l'expérience il s'est avéré que les femmes réussissaient mieux : elles étaient plus patientes, supportaient mieux la solitude. Par ailleurs ils pensaient qu'une femme serait mieux accepté par les groupes de primates ne risquant pas d'entrer en rivalité avec les mâles.
Il est probable aussi que la partition qui place la femme du coté du naturel et les hommes du coté du culturel a joué. 
Enfin, ces études se font sur de longues durées (des années pour certaines) et si elles sont passionnantes il n'est jamais très favorable pour une carrière de se trouver loin des lieux de décision. A cette époque celles-ci se décide dans les musées ou les universités. Chrys Hezfeld y voit une bonne raison pour que les hommes ne se précipitent pas sur le terrain. Pour les femmes la problématique est différente puisque de toute façon leurs chances de carrières institutionnelles était minime.
 
* et la chanson de Brassens apparait comme très subversive (c'est moi qui rajoute)Rendez-vous sur Hellocoton !

Commentaires

1. Le 14/08/2012, 11:04 par Mellie

Pascal Picq, dont certaines conférences sont visibles sur le web, est également passionnant sur ces sujets

2. Le 14/08/2012, 18:16 par xav

Condamnation à 6 mois fermes pour coups sur sa compagne.
http://pretoires.blogs.liberation.f...

3. Le 15/08/2012, 15:39 par Hypathie

Ce qui est hallucinant c'est que ces études étaient prétendues scientifiques et objectives, la science et l'objectivité étant du côté masculin, évidemment ! Quand on voit leurs projections culturelles sur ces pauvres animaux, on est sidéré-e-s. De plus, Jane Goodall a été objet de leurs moqueries quand elle a choisi dans sa méthode de donner des noms à ses chimpanzés (elle a été la première à le faire), alors qu'il était de bon ton (masculin) de leur donner des numéros pour éviter précisément (on ne rit pas SVP) l'anthropomorphisme !
Ceci dit, il serait vraiment temps de s'y mettre à les observer, de façon scientifique ou empathique, comme on veut, et en finir avec ces pratiques où les animaux nous en apprennent plus sur nous que sur eux. Il faut en finir avec l'anthropocentrisme.

4. Le 30/08/2012, 10:28 par deshler

Cet article va m'être utile