Short au college, l'effet sur les garçons

Le jour de la rentrée des classes une personne avec qui j'échange depuis des années sur twitter a raconté comment sa fille de 11 ans, partie le matin en short est rentrée à la maison avec un pantalon même pas propre. La CPE lui aurait enjoint, ainsi qu'à plusieurs autres jeunes filles, de se changer. Plus d'explication sur le compte twitter de @Galliane

L'explication donnée aux fillettes aurait été que "ça excite les garçons", puis celle donnée aux parents que ce n'est pas conforme au règlement intérieur qui stipule que les élèves doivent porter une tenue propre et décente et proscrire les vêtements négligés ou provocants. Toute la question étant alors de savoir si un short constitue une tenue décente ou négligée ou provocante.

L'affaire a fait un peu de bruit et plusieurs magazines en ont rendu compte, car c'est un sujet récurrent. Faut-il règlementer la façon dont les femmes, et même les petites filles s'habillent ? Question qui est rarement posée au sujet des garçons, qui ont pourtant longtemps porté des shorts jusqu'à un âge tardif sans que personne ne s'en émeuve.

On peut cependant observer que la situation est inverse pour les adultes. Les femmes au travail ont plein de possibilité de varier leurs tenues et de porter des vêtements légers et adaptés lorsqu'il fait très chaud alors que dans tout le tertiaire les hommes sont contraints de mettre des pantalons longs. ça aurait pourtant de la gueule une réunion de ministres en shorts non ?

Il me semble cependant que le plus grave n'est pas ce que ces injonctions font aux filles, mais ce qu'elles font aux garçons. La sexualité n'est pas qu'un comportement de reproduction, elle l'est même très rarement de nos jours chez les humains. C'est un comportement social, construit symboliquement.

Qu'apprend-t-on à des enfants en leur disant qu'une petite fille en short excite les garçons ?

J'ai cherché des articles universitaires pour développer mon idée et je vous conseille cette conférence de Philippe Liotard. Maître de conférences en sociologie à l'Université Lyon 1 «Corps, sexualité, identité la construction des rapports filles/garçons à l’école… et au-delà »

Comment apprend on à se comporter avec les personnes, du même sexe ou du sexe opposé, à partir des représentations qu'on a de la sexualité ? Comment les individus apprennent-ils à se servir de leur corps pour se donner du plaisir, ou se reproduire, ou les 2 ?

Il cite, entre autres des travaux de Marcel Mauss, anthropologue des années 30 qui avait élaboré un index des pratiques sexuelles à travers le monde et démontré qu'elles étaient très différentes d'un continent à l'autre. 

L'éducation est un double apprentissage de transmission mais aussi d'intégration. L'apprentissage de la sexualité c'est d'abord l'apprentissage de normes et de valeurs : ce que je dois faire, mais aussi ce que j'imagine que je dois faire, ce que je dois aimer pour me comporter comme un homme, un vrai, ou comme une femme respectable. Ce que je peux faire en fonction de mon statut, de mon âge. Ces normes apprises très tôt structurent notre façon de penser pour la vie.

A 11 ans les enfants, qui ont déja bien intégré les comportements de genre, arrivent à l'âge où ils vont se poser des questions sur la sexualité. Questions qui sont pour eux : "si je fais ça est-ce que c'est normal ?", "est ce que c'est conforme à l'image que je veux donner de moi ?"

Or, leur suggérer qu'une jeune fille en short va exciter les garçons c'est :

- indiquer aux filles qu'elles doivent faire attention à ne pas exciter les garçons, qu'elles sont responsables de ça. C'est cette injonction qui est actuellement vivement décriée

- indiquer aux garçons, et l'on parle beaucoup moins de l'injonction faite aux garçons, qu'ils doivent être excités par la vue des jambes nues de leurs camarades, que c'est naturel et que pour leur éviter une tentation trop forte dans le cadre scolaire l'institution s'occupe de les en préserver.

Or, si les adolescents sont évidemment prompts à s'émouvoir et découvrent les plaisirs et les affres de leur sexualité, ils peuvent aussi côtoyer leurs camarades sans penser au sexe. A cet âge les questions sur les sentiments et les relations amicales ou amoureuses sont aussi importantes, voire plus importantes que les questions sur le sexe. Or que pensera un petit garçon qui a entendu que le short est interdit pour les filles car cela excite les garçons et qui ne ressentira rien à la vue de ces jambes nues ? Il aura peur de ne pas être normal, de ne pas être assez viril. C'est donc une incitation à s'exciter aux bons moments, comme on l'attend d'un vrai mâle. Par contre si il a une érection il se sentira normal, et pourra même s'en vanter auprès de ses camarades garçons.

Les féministes protestent contre le fait que l'on demande aux filles de se vêtir alors qu'il faudrait demander aux garçons de ne pas agresser. En réalité c'est très en amont qu'il faut prendre la question : avant de leur apprendre à se contrôler il faut arrêter de leur faire croire que la norme viril est de bander à la vue du moindre bout de peau.  Il faut leur apprendre que les relations avec les autres passent par de multiples canaux et que le sexe n'en est qu'un aspect qui ne se concrétisera que dans une minorité de ces relations.