Le refus par l'Assemblée nationale, dans
la nuit du 14 au 15 octobre 2015, de considérer les produits de
protections féminines comme des biens de première nécessité et de les faire
bénéficier d’une TVA de 5,5% à la place des 20% actuellement appliqués, a fait
beaucoup de bruit. C'est le moins que l'on puisse dire ; partie de twitter et
facebook l'indignation s'est rapidement étendue, bien au delà des cercles
féministes qui, depuis plusieurs mois se sont mobilisés pour supprimer cette
"tampontax". (La pétition du collectif Georgettesand est
Vu du coté gouvernementale ce serait un manque à gagner de 55 millions.
C'est ce qu'a indiqué Christian Eckert, secrétaire d’Etat au Budget dont
l'argumentaire, pour le moins maladroit, a considérablement contribué au buzz.
Il a rappelé que « le taux
normal de la TVA, c’est 20 % ». Et qu’il y a « des règles communautaires,
qui interdisent de mettre des taux réduits sur n’importe quel produit
».
Il a considéré que « les produits d’hygiène ne sont pas exactement des
produits de première nécessité ».
Il a rapproché le débat sur la « taxe tampon » de celui sur « les
parcs d’attraction et l’entrée des grottes ».
Enfin, il a osé une comparaison avec des articles destinés aux hommes.
"Il y a beaucoup de produits d'hygiène qui concernent plutôt les hommes et
dont le taux de TVA est à 20%, comme les mousses à raser spéciales
hommes".
Plus tard, il a aggravé son cas en faisant état de l'intimité des
femmes de sa vie « J’ai une femme et trois filles, donc un
environnement qui connaît le sujet. J’aime bien faire les courses le
samedi, je connais la taille, la typologie et la couleur pour chacune d’entre
elles, poursuit-il. Je sais que pour l’une, c’est avec applicateur, pour
l’autre XXL etc. Je suis vraiment le dernier à pouvoir être taxé de propos
ignorants sur le sujet ! Ce n’est pas très juste. ». Ce n'est pas sans
rappeler les propos de Gérard Longuet pour se défendre face à une intervention
de la La Barbe "J'ai une femme, 4 filles, une mère et quand j'ai un chien
c'est une chienne."
Ce qui ne passe pas :
La mise en évidence de nombreuses incohérences, et d'injustice dans la
TVA
On peut comprendre que 55 millions ce n'est pas une paille, mais dans ce cas,
et de très nombreux internautes l'ont souligné, comment justifier qu'en 2015
les produits d'hygiène ne soient pas considérés comme de première nécessité ?
comment expliquer que le chocolat, le foie gras, les sodas, les magazines, les
billets d'entrée au zoo et au cirque bénéficient de taux privilégiés (le
détail par
Les décodeurs) ?
A l'évidence il y aurait du ménage à faire dans les taux de TVA, qui nous
concernent tous quotidiennement.
Le fait que des hommes prennent des décisions sur un sujet qui ne
concerne que les femmes
L'Assemblée nationale est composée de 73% d'hommes, qui ne sont forcément
pas concernés. C'est probablement ce qui a le plus suscité la colère des
internautes. Les propos du secrétaire d'Etat sont apparus comme méprisant
envers les femmes ; rappeler à cette occasion un débat plus ancien concernant
les parcs d'attraction et les entrées de grottes (abstenons nous d'une
psychanalyse sauvage) c'est renvoyer un sujet féminin vers le
domaine du ludique, du pas sérieux. Enfin, oser comparer tampons et serviettes
avec la mousse à raser c'est, au mieux faire preuve de mauvaise foi, au pire ne
vraiment rien imaginer de ce que vivent les femmes chaque mois.
Ce que ce buzz démontre :
Il n'est pas qu'anecdotique, il met en évidence, à mon avis, 2 évolutions
importantes
1/ Le fait que la légitimité du Parlement soit de plus en plus
contestée.
Il est évident dans ce cas que, même si des femmes ont voté contre
l'amendement, qu'une majorité d'hommes ne peut pas se prononcer en bonne
connaissance de cause, et en toute objectivité sur un sujet qui ne les concerne
pas. L'erreur, grossière, étant, d'avoir osé le ramener à quelque chose qu'ils
connaissent : la mousse à raser. Comme si il y s'agissait d'une guerre des
sexes.
On peut remarquer que la représentativité des élus, dont le profil
sociologique est trop homogène, est de plus en plus souvent discutée, mais en
l'occurence il s'agit dans ce cas de 50% de la population qui ne se sent
pas prise en compte.
2/ Le fait que les femmes revendiquent désormais d'être prises en compte
dans leur différence
Jusqu'à une période récente, les femmes, qui essayaient d'investir le
monde du travail, s'employaient à faire oublier qu'elles étaient des femmes. En
adoptant des codes masculins, en se débrouillant pour ne pas poser de questions
avec leurs problèmes spécifiques, au premier rang desquelles figurent la
grossesse et la conciliation vie privée/vie professionnelle. Impensable donc
d'évoquer leurs règles, elles se contentaient de se réjouir qu'on ne les
obligent plus à s'enfermer sous prétexte qu'elles feraient tourner la
mayonnaise ou rater les négociations.
Ce qui est encore le cas dans une grande
partie du monde.
Il semble que cela soit terminé, les femmes revendiquent ce qui ne doit
plus être considéré comme une faiblesse ou une tare honteuse mais comme une
contrainte spécifique qu'elles ont à gérer. Et elles trouveraient normal que la
société, ou plutôt les 50% de la population qui n'a pas de règles,
reconnaisse cela.
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Notons qu'une décision de ce type a été prise au Canada, et appliquée au Québec depuis le 1er juillet.
Commentaires
Bonjour,
Je suis tout à fait d'accord sur le principe qu'il est scandaleux d'avoir traité le sujet de cette façon, que le taux aurait dû être revu, mais je ne vois pas en quoi les femmes seraient plus représentatives des femmes au parlement, que les hommes. On ne peut pas être objectif sur un sujet qui ne nous concerne pas ? Le contraire est tout aussi vrai, c'est à dire faux. Il n'y a pas de vérité là dedans, et croire que le problème est que ce sont majoritairement des hommes est à coté de la plaque, sauf peut être dans ce cas très précis, mais à moins de changer de députés à chaque sujet traité, il faut bien avoir des représentant (si on considère qu'on fonctionne dans le système actuel) qui ne peuvent pas avoir des avis sur tout. Et c'est justement sur ce point, je pense, que réside toute la perte de crédibilité de nos représentants politiques : ils ont des avis sur tout, sans remise en question, sans consultation, sans écoute.
Le fait qu'ils soient une majorité d'hommes n'implique pas qu'ils portent par essence des "opinions d'hommes", et ce n'est donc pas le cœur du problème qui réside plutôt dans le fait qu'ils ne sont pas une représentation de la diversité de la population, qui compte des hommes qui veulent l'égalité, et des femmes qui ne la veulent pas. On peut être un homme et parler en "connaissance de cause" de problèmes féminins, si on s'est renseigné, si on rapporte des points de vue féminin sans les juger. C'est le principe de la représentation, ce qu'ils ne font plus, pour beaucoup, depuis longtemps.
Complétement d'accord sur la démarche féministe qui veut l'égalité des droits sans renier notre spécificité de femmes. C'est mon état d'esprit. Elle va à l'encontre des arguments véhiculés du type", regardez ce que les femmes ont à apporter à votre entreprise en matière économique EN PLUS de ce que les hommes apportent". On l'entend beaucoup, d'une façon différente d'il y a 20 ans mais ça continue. Il y a 20 ans c'était les hommes qui exigeaient pour, juste penser faire une place aux femmes qu'elles démontrent qu'elles étaient une plus value dans l'entreprise.
Il se peut que cette démarche que je rejette est plus pragmatique et plus efficace, je pense au discours de Simone Veil à l'assemblée nationale pour faire passer la loi légalisant l'avortement. Elle n'a utilisé aucun argument féministe (légitime), elle s'est complétement adapté à son public d'homme, leur fournissant des tas d'arguments pour leurs propres électeurs. Démarche donc très pragmatique et efficace.
MAIS je préfère la démarche légitime, nous sommes juste la moitie de l'humanité.